Ces dernières années, de plus en plus de femmes adultes sont diagnostiquées autistes. D'abord mal interprété comme une "épidémie" d'autisme au féminin, le phénomène tend plutôt à pointer du doigt des dysfonctionnements diagnostiques, et des normes sociales qui retardent ce moment du diagnostic.
Voici quelques pistes d'explications sur ces femmes autistes, détectées bien tard, et les causes multiples de cette défaillance diagnostique.
Des critères diagnostics biaisés
L'autisme a été principalement étudié, et observé chez les garçons depuis le début des recherches dans les années 40.
Les critères diagnostiques traditionnels ont été développés en se basant principalement sur les manifestations observées chez les garçons autistes, ce qui a conduit à une compréhension limitée des représentations autistiques chez les filles.
Les filles autistes peuvent présenter des symptômes différents, tels qu'une meilleure imitation sociale et une plus grande capacité à masquer leurs difficultés sociales, ce qui peut masquer leur condition et rendre le diagnostic plus difficile, surtout quand ce dernier n'a pas été pensé pour elles.
Un autisme différent ?
Sur le papier ? Non. La seule différence majeure dans l'autisme chez les femmes, c'est la présence d'hormones qui dès l'adolescence vont avoir tendance à faciliter certaines difficultés, et au contraires les accentuer dans la période pré menstruelle. Mise à part cette variation de l'intensité des symptômes liée au cycle hormonal, l'autisme s'exprime de la même manière quel que soit le genre de l'individu.
Tous les autistes présentent des difficultés dans la sphère sociale et dans les interactions, et des comportements restreints ou répétitifs.
Des filles moins entendues
Et notamment dans les années 90 ... Les stéréotypes de genre, les normes sociales à double standard étaient légions jusqu'aux années 2000. Résultat ? Des filles qui étaient moins entendues et moins encouragées à s'exprimer. Une norme sociétale qui tend à changer mais lentement et timidement.
Connaissez vous le test du yaourt ? Une expérience où l'on sert à des enfants un yaourt salé (donc dégoutant), en leur disant qu'ils sont là pour tourner une publicité, et qu'ils doivent manger une cuillère et dire "Miam, c'est bon".
Une grosse majorité des garçons crache la cuillère en disant que le yaourt est immangeable. Et les filles ? Les filles, en grande majorité, mangent, et disent que c'est bon.
Pourquoi ? Parce que dans leur éducation, on a profondément enraciné les notions de plaire, de satisfaire, de répondre aux attente et ne pas gêner ou déranger. Une catastrophe pour les principes de consentement, de priorisation de leurs besoin mais aussi pour la détection de l'autisme.
Une petite fille autiste devra plus souvent cacher ses difficultés. Statistiquement, les petites filles font davantage de crises shutdown (repli sur soi), que de crises meltdown (explosion, pleurs rage etc). Tout simplement parce que les parents répriment plus sévèrement les crises explosives et "visibles".
Et là, il s'agit clairement d'une spécificité sociétale et non biologique.
Des manifestations "socialement acceptables"
Les filles de cette génération, ont souvent aussi vécu un déni d'intérêt spécifiques. Les mœurs étant très rigides et genrées, elles étaient orientées vers des intérêts spécifiques plus "socialement acceptables", et donc fatalement moins visibles.
Une sorte de double peine à la sauce vintage.
Musique, dessin, danse, équitation : la liste est longue et ressemble aux accomplissements des femmes dans les récits de Jane Austen, mais malheureusement c'est assez fidèle à la réalité vécue de l'époque. Une petite fille fascinée par la mécanique ou les moteurs, aurait été bien vite redirigée vers des "choses de filles" (🤢)
Résultat ? Des femmes d'une quarantaine d'années, convaincues de ne pas avoir d'intérêt spécifique, et qui pourtant, en creusant bien, correspondent en tout point aux critères diagnostics du DSM5.
Autistes filles vs Autistes garçons ?
Depuis le début de cet article, je raisonne en termes de filles/garçons, alors que la aussi, la réalité est bien plus floue (ce qui ne facilite pas l'approche des professionnels de santé).
Cela ne fait que très peu de temps, qu'on prend conscience que la notion d'identité de genre est bien plus fluide dans le cerveau autiste que chez les neurotypiques. Loin de dire que tous les autistes sont concernés par la dysphorie de genre, cela indique surtout que la société a appliqué des normes de genre sur des individus qui, de toute manière, tendent à se percevoir à travers un prisme plus fluide, moins rigide.
En somme, la société a genré un trouble qui par essence ne l'est pas.
Alors l'autisme féminin existe-t-il ?
Sur le plan biologique, pas particulièrement, non. Par contre on peut clairement dire que les normes sociales et dogmes sociétaux ont eu largement tendance sur les 40 dernières années à étouffer et refouler les filles et jeunes femmes autistes, créant ainsi une génération entière qui a souffert sans savoir de quoi. Et toutes les conséquences massives qui vont avec : crises à répétition, dysfonction exécutive cérébrale, pertes de mémoire, troubles du sommeil, de l'alimentation, dépression ... etc
Il est essentiel de reconnaître et de corriger ce biais, et de combattre les stéréotypes de genre, afin de garantir un dépistage et un diagnostic précoces chez les filles autistes, leur offrant ainsi un accès adéquat aux interventions et aux soutiens nécessaires.
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