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Alexithymie et autisme : quand le corps parle une langue difficile à décoder

  • Photo du rédacteur: Florence
    Florence
  • il y a 1 jour
  • 5 min de lecture

50% des adultes autistes sont concernés par l'alexithymie

Pourquoi certaines personnes autistes disent-elles « je ne sais pas ce que je ressens » ou confondent-elles faim, anxiété et nausée ? Ce phénomène a un nom : alexithymie.


Loin d’être un simple « manque d’émotions », l’alexithymie est un trouble de l’identification et de la différenciation des signaux corporels et émotionnels. Elle concerne environ 50 % des personnes autistes (Bird & Cook, 2013).



Qu’est-ce que l’alexithymie ?


Le terme signifie littéralement « absence de mots pour les émotions ».Concrètement, cela se traduit par :


  • une difficulté à reconnaître ses émotions,

  • une confusion entre états corporels (par ex. « est-ce que j’ai faim, ou est-ce que je suis stressé ? »),

  • une tendance à rationaliser plutôt qu’à ressentir.


À noter : l’alexithymie n’est pas synonyme de froideur affective. Les personnes concernées ressentent bien les émotions, mais elles ont du mal à les identifier et nommer.


La neurobiologie derrière l’alexithymie


1. Le rôle de l’insula et du cortex cingulaire antérieur



L'alexithymie dans l'autisme : une source de confusion

Au cœur de l’alexithymie se joue un problème de traduction entre le corps et le cerveau.

L’insula, située en profondeur dans le cortex, est souvent décrite comme le « centre de l’interoception ». C’est elle qui capte les signaux internes (battements cardiaques, tension gastrique, respiration) et les transforme en sensations conscientes. Par exemple : si votre rythme cardiaque s’accélère, c’est l’insula qui fait remonter l’information et vous permet de ressentir une « nervosité » ou une « excitation ».


Le cortex cingulaire antérieur (CCA), lui, agit comme une salle de contrôle : il intègre ces signaux corporels avec les informations cognitives et émotionnelles pour donner une signification à ce que vous ressentez. En quelque sorte, l’insula envoie les « données brutes » et le CCA aide à construire la phrase « je suis stressé » ou « je suis amoureux ».


Chez les personnes alexithymiques, plusieurs études d’imagerie (Herbert et al., 2011 ; Bird et al., 2010) montrent une hypo-activation de l’insula et du CCA, ce qui entraîne :


  • une difficulté à ressentir clairement les signaux internes,

  • une mauvaise intégration de ces signaux avec le contexte émotionnel,

  • une tendance à rester dans le flou (« je sens quelque chose dans mon ventre, mais je ne sais pas quoi »).


Cette altération explique pourquoi la frontière entre un état physiologique (nausée, faim, fatigue) et un état émotionnel (anxiété, tristesse, colère) peut devenir poreuse. Ce n’est pas une absence d’émotion, mais un problème d’étiquetage et de différenciation.


Certaines études ajoutent même que l’insula et le CCA sont également impliqués dans la douleur sociale (rejet, critique), ce qui peut renforcer la confusion : un rejet ressenti active les mêmes circuits que la douleur physique, rendant l’expérience émotionnelle encore plus ambiguë et douloureuse.


2. Interoception et confusion des signaux


L’interoception est la capacité à percevoir l’état interne du corps (faim, rythme cardiaque, nausée, tension musculaire).Chez les personnes autistes, cette perception peut être amplifiée (hypersensibilité) ou diminuée (hyposensibilité).


Résultat :

  • une nausée peut être ressentie comme de l’angoisse,

  • un cœur qui s’accélère peut être pris pour de la faim,

  • la fatigue peut être confondue avec une émotion négative.


3. Circuit émotionnel et intégration


Les émotions ne sont pas seulement « dans la tête » : elles émergent de la mise en commun entre signaux corporels et cognition. Quand cette intégration est altérée (insula + réseau limbique), l’émotion devient un puzzle incomplet.


Alexithymie et autisme : chiffres clés

  • Environ 50 % des personnes autistes présentent une alexithymie significative, contre 10 % dans la population générale (Bird & Cook, 2013).

  • L’alexithymie est un meilleur prédicteur de difficultés émotionnelles dans l’autisme que le diagnostic TSA en lui-même (Bird et al., 2011).

  • Elle est corrélée à une anxiété accrue et à des symptômes dépressifs (Grabe et al., 2004).

  • Une étude IRM (Moreno-López et al., 2016) montre une hypo-activation de l’insula chez les personnes alexithymiques, expliquant la difficulté à différencier les états corporels.


Exemples concrets du quotidien

  • « J’ai cru que j’avais faim, mais en fait c’était une crise d’angoisse qui montait. »

  • « Quand je suis fatigué·e, j’ai l’impression d’être malade, sans comprendre ce qui se passe. »

  • « Je ne sais pas si je suis en colère ou triste, je sens juste un malaise dans mon ventre. »

Ces vécus illustrent la difficulté à mettre des mots sur les sensations internes, ce qui peut générer un stress chronique et un sentiment d’impuissance.


Pourquoi on l'évalue dans vos Cartographies (CDNAA-R) ?

Tout simplement parce que pour la moitié d'entre vous c'est un facteur clef pour l'adaptation thérapeutique. Impossible de demander à quelqu'un qui peine avec l'intéroception d'aborder ses déclencheurs de la même manière que quelqu'un pour qui cette notion est plus fluide.


Page 37 de vos rapports de CDNAA-R ; vous avez une évaluation précise de votre niveau d'alexithymie (ou absence de) et surtout des conseils d'adaptations pensés pour VOUS et vos modes de fonctionnement. L'enjeu ? Ne pas accentuer les difficultés liées à l'alexithymie et vous permettre de minimiser cette confusion pour ne plus vous sentir insecure en vous mêmes.


Quelles pistes d’adaptation ?

1. Psychoéducation interoceptive

  • Apprendre à distinguer les signaux corporels : tenir un journal où l’on note les sensations (tension, chaleur, rythme cardiaque) et les relier aux contextes.

  • Exercice d’auto-observation : « quand j’ai le ventre noué, est-ce que j’ai aussi des pensées anxieuses ? »


2. Approches corporelles

  • Pratiques de respiration consciente pour mieux différencier anxiété et autres signaux.

  • Activités comme le yoga ou la méditation axées sur la connexion au corps.


3. Adaptations dans le quotidien

  • Structurer ses repas pour éviter de confondre faim et stress.

  • Utiliser des repères visuels ou écrits (« check-lists d’états internes »).

  • Se donner la permission de ne pas « savoir tout de suite » ce que l’on ressent.


Conclusion


L’alexithymie n’est pas un manque d’émotions. C’est une traduction difficile entre le langage du corps et celui de l’esprit.Chez les personnes autistes, elle explique pourquoi un signal corporel peut être mal interprété et transformer la faim en angoisse, ou la fatigue en tristesse.

Reconnaître cette réalité, c’est sortir du jugement (« tu es froid·e », « tu ne ressens rien ») et ouvrir la voie à des stratégies concrètes d’adaptation, et limiter la difficulté de se sentir insécure en soi même.


Références

  • Bird, G., & Cook, R. (2013). Mixed emotions: the contribution of alexithymia to the emotional symptoms of autism. Translational Psychiatry.

  • Bird, G. et al. (2010). Empathic brain responses in insula are modulated by levels of alexithymia but not autism. Brain.

  • Grabe, H. J. et al. (2004). Alexithymia and mental health. Psychopathology.

  • Herbert, B. M. et al. (2011). Interoceptive sensitivity and insular cortex activity in alexithymia. Biological Psychology.

  • Moreno-López, L. et al. (2016). Brain structural correlates of alexithymia in autism spectrum disorder. NeuroImage: Clinical.

  • South, M., & Rodgers, J. (2017). Sensory, emotional and cognitive contributions to anxiety in autism. Frontiers in Human Neuroscience.


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