L’autisme et le téléphone : pourquoi c’est si difficile… et comment s’adapter
- Florence

- 9 sept.
- 4 min de lecture
Une difficulté partagée par la majorité des personnes autistes
Si vous êtes autiste et que décrocher le téléphone vous donne déjà des palpitations… vous n’êtes pas seul·e.Une étude récente montre que 77 % des adultes autistes considèrent les appels téléphoniques comme une source majeure d’anxiété (Browning et al., 2022).
Et ce n’est pas une « bizarrerie » ou un simple caprice. C’est une conséquence directe du fonctionnement cognitif et sensoriel des personnes autistes.
Pourquoi le téléphone est-il si compliqué pour un cerveau autiste ?
1. Une interaction amputée de ses indices sociaux
Le téléphone supprime environ 60 à 80 % des indices non verbaux (Mehrabian, 1971 ; confirmé par des analyses récentes).Or, pour beaucoup de personnes autistes, ces indices (expressions faciales, gestes, micro-signaux) sont sur-analysés et utilisés comme « béquilles » pour décoder une conversation.
Sans eux, l’échange devient une énigme permanente :
Quand est-ce mon tour de parler ?
Est-ce que l’autre est ironique ?
Y a-t-il un sous-entendu que je n’ai pas saisi ?
2. Une surcharge cognitive
Parler au téléphone implique de :
écouter et comprendre en temps réel,
retenir ce qui a été dit,
formuler une réponse,
gérer l’incertitude (ton, durée, imprévus).
Pour un cerveau autiste, déjà plus sensible à la surcharge d’informations, cette équation devient vite intenable (Happé & Frith, 2006).
3. Un temps de traitement plus long
Des études montrent que 35 à 40 % des adultes autistes ont besoin d’un temps supplémentaire pour traiter et répondre dans une conversation (Paolieri et al., 2019).Au téléphone, ce délai peut créer un stress supplémentaire : silences mal perçus, peur de « bloquer », impression de ne pas suivre.
4. L’anxiété de l’imprévu
Un appel, c’est souvent : « Allô ? J’espère que je ne te dérange pas… ».Or, l’imprévisibilité est une source d’anxiété documentée dans le TSA (South & Rodgers, 2017). Ne pas savoir qui appelle, pourquoi, ni combien de temps ça va durer, peut suffire à déclencher une réaction de fuite.
5. L’effet d’écho sensoriel
Beaucoup décrivent un inconfort avec les voix téléphoniques compressées, artificielles, souvent plus aiguës. Pour les personnes avec hypersensibilité auditive — environ 70 % des autistes (Robertson & Baron-Cohen, 2017) —, cela peut transformer chaque appel en véritable agression sensorielle.
Ce que disent les chiffres

77 % des adultes autistes : les appels sont une source majeure d’anxiété (Browning et al., 2022).
60–70 % des personnes autistes présentent une anxiété sociale (Kerns et al., 2014).
50–60 % préfèrent l’écrit (SMS, mails) plutôt que le téléphone (Mazurek, 2014).
30–50 % rencontrent des difficultés avec la prosodie (intonation, ironie, sous-entendus) (McCann & Peppe, 2003).
35–40 % rapportent un besoin de temps supplémentaire pour traiter et répondre (Paolieri et al., 2019).
70 % présentent une hypersensibilité sensorielle, dont l’audition (Robertson & Baron-Cohen, 2017).
Exemples du quotidien

« On m’appelle pour un rendez-vous médical : je passe la moitié de l’appel à noter frénétiquement, mais j’ai oublié de demander l’adresse. »
« J’hésite à décrocher quand un numéro inconnu m’appelle : la peur de l’imprévu est plus forte. »
« Même avec mes proches, je me fatigue vite. J’ai besoin de raccrocher au bout de 5 minutes. »
Ces expériences sont universelles dans la communauté autistique, et elles ne relèvent pas de la faiblesse, mais de différences de traitement cognitif et sensoriel
Conseils pratiques pour apprivoiser le téléphone
Adapter le contexte
Utiliser un casque ou un haut-parleur pour réduire l’impact sensoriel.
Se créer un rituel rassurant (toujours appeler du même endroit, avec un verre d’eau à portée de main).
Préparer l’appel
Noter les points à aborder avant d’appeler.
Préparer quelques phrases type pour ouvrir ou fermer la conversation.
Poser un cadre
Demander un créneau défini : « On s’appelle demain à 15 h ? »
Limiter la durée dès le début : « J’ai 10 minutes ».
Privilégier l’écrit
Quand c’est possible : proposer SMS, mails, messageries vocales ou écrites.
Utiliser la visioconférence si vous avez besoin des repères visuels.
Prendre soin de soi
S’autoriser à demander de répéter : « Je n’ai pas bien compris, pouvez-vous reformuler ? »
Prendre des notes pour libérer la mémoire de travail.
Se donner le droit de dire NON : refuser un appel n’est pas un échec, c’est un choix d’accessibilité.
En conclusion
Détester le téléphone quand on est autiste, ce n’est pas de la paresse sociale.C’est une réaction parfaitement logique à un mode de communication qui supprime vos repères, surcharge vos sens et mobilise vos ressources cognitives.
La prochaine fois que vous sentez l’angoisse monter à la sonnerie, rappelez-vous :
Vous n’êtes pas seul·e.
Ce n’est pas « bizarre ».
Et vous avez le droit de choisir les modes de communication qui vous conviennent.
Références
Browning, J. et al. (2022). Autistic adults’ experiences of anxiety in daily life. Autism.
Happé, F., & Frith, U. (2006). The weak coherence account: Detail-focused cognitive style in autism spectrum disorders. Journal of Autism and Developmental Disorders.
Kerns, C. M. et al. (2014). The prevalence and correlates of anxiety disorders in youth with autism spectrum disorders. Journal of Autism and Developmental Disorders.
Mazurek, M. O. (2014). Social media use among adults with autism spectrum disorders. Computers in Human Behavior.
McCann, J., & Peppe, S. (2003). Prosody in autism spectrum disorders. Journal of Neurolinguistics.
Paolieri, D. et al. (2019). Conversational timing in autism: Delays in turn-taking. Frontiers in Psychology.
Robertson, C. E., & Baron-Cohen, S. (2017). Sensory perception in autism. Nature Reviews Neuroscience.
South, M., & Rodgers, J. (2017). Sensory, emotional and cognitive contributions to anxiety in autism spectrum disorders. Frontiers in Human Neuroscience.
Mehrabian, A. (1971). Silent Messages. Wadsworth.




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