2 profils génétiques dans l'autisme ?
- Florence

- 8 oct.
- 5 min de lecture
Une étude (Zhang et al., 2025) fait couler beaucoup d'encre, et certains expliquent qu'elle déterminerait 2 formes distinctes d'autisme sur un plan génétique selon si la personne a été détectée tôt ou tard.
Bien que cette étude soit passionnante, et une source d'éclairages précieux sur le lien encore flou entre génétique et TSA, elle ne divise clairement pas le spectre en 2.
Voici toutes les clefs pour comprendre le fond scientifique de cette étude, et les conclusions des chercheurs qui l'ont menée.
Ce qu’ils ont exactement fait (méthode, en clair) :
Cohortes : SPARK (États-Unis) et iPSYCH (Danemark) pour la génétique, plus trois cohortes de naissance UK/Australie pour les trajectoires comportementales dans le temps.
GWAS sur l’âge du diagnostic (trait quantitatif), puis décomposition factorielle génomique pour voir s’il existe deux facteurs polygéniques distincts associés aux diagnostics plus précoces vs plus tardifs.
Analyses de sensibilité nombreuses, y compris un modèle restreint aux personnes sans déficience intellectuelle et parlant en phrases longues : les résultats persistent.
(Ici ce sont les terminologies exactes employées par les chercheurs qui vous sont retransmises, certains mots, ou tournures de phrases sonnent validistes à mes oreilles, mais il est important de retranscrire le fond selon leurs mots, et non influencé par ma lecture)
Résultat 1 : l’âge du diagnostic est modestement influencé par des variantes communes :
Les variants génétiques communs expliquent environ 11 % de la variance de l’âge auquel on reçoit un diagnostic. C’est du même ordre que l’apport de chaque grande variable socio-démographique ou comportementale prise isolément (souvent moins de 15 %). En clair : une petite part est génétique, une grande part reste liée à l’environnement, au masquage, aux parcours et à l’accès au repérage.
Résultat 2 : deux facteurs polygéniques distincts mais chevauchants :
La structure génétique se décompose en 2 facteurs (plutôt associé aux diagnostics précoces, plutôt associé aux diagnostics plus tardifs). Ces facteurs sont modérément corrélés : r₍g₎ ≈ 0,38 (erreur standard 0,07). Traduction : une part commune, mais pas identité parfaite, donc pas deux autismes séparés.
C'est quoi r₍g₎ ?
r₍g₎ se lit “r sous g” et signifie corrélation génétique entre deux signaux polygéniques (c'est à dire une guirlande choisie de plusieurs gènes). r₍g₎ = 0,38 veut dire : il y a un chevauchement génétique entre ces deux profils équivalent à 38%.

Résultat 3 : pas d’effet clair des variants rares sur “tôt vs tard” :
Dans l’échantillon trio SPARK (n = 6 206), l’équipe n’observe pas d’association entre l’âge du diagnostic et la charge en variants rares à fort impact (de novo ou hérités, protéine-tronquants ou missense dans des gènes très contraints au sens LOEUF/MPC). Les auteurs notent que cela peut refléter un manque de puissance ou des effets de parcours qui, chez certains enfants avec retards importants, décalent le moment du repérage. Le point clé, ici : la “grande mutation” n’explique pas la dichotomie tôt/tard. Ce qui a été observé ce sont des combinaisons complexes de SNP, dont certains isolés peuvent aussi correspondre au TDAH, à la dépression ou d'autres caractéristiques cognitives ou mentales.
Qu’est-ce qu’un SNP ?
Un SNP (on dit “snip”) est une micro-variation d’une seule lettre de l’ADN. Pris isolément, un SNP a un effet minuscule. Ce sont des milliers de SNPs, combinés, qui modulent légèrement des traits comme la taille, certains aspects sensoriels ou sociaux. C’est cela, un profil polygénique : beaucoup de petits effets additionnés. C'est pour cela que des chevauchements de SNPs peu nombreux ne créent pas automatiquement la difficulté ou pathologie avec laquelle le profil se chevauche. On peut partager 20% des SNPs responsables des cheveux blonds, et être brun.
À retenir de Zhang et al.
Pas de preuve que des mutations rares séparent tôt/tard.
Deux facteurs polygéniques corrélés, donc pas de fracture nette.
≈ 11 % seulement de l’âge du diagnostic est expliqué par la génétique commune, le reste relève largement de l’environnement, des contextes et du masquage.

Et Princeton alors ? Une étude qui relève 4 profils autistiques ?
L’idée : partir des traits puis remonter vers la génétique
Plutôt que de chercher “un gène, un trait”, l’équipe de Princeton a appliqué une approche personne-centrée sur 5 392 enfants du programme SPARK : on décompose d’abord les profils phénotypiques (239 items issus de questionnaires standardisés), puis on regarde quels programmes génétiques correspondent à ces profils. C’est une forme de rétro-ingénierie : on regroupe les présentations qui se ressemblent, puis on cartographie les signaux génétiques associés.

Méthode en deux lignes
Modélisation par mélange génératif (GFMM) pour identifier des classes latentes à partir des traits (SCQ, RBS-R, CBCL, jalons développementaux).
Puis analyses génétiques : scores polygéniques communs, variants rares de novo/hérités, et même timing développemental d’expression des gènes affectés selon la classe.
Les quatre classes mises en évidence
Social/behavioral : scores élevés dans les cœurs autistiques (communication sociale, intérêts restreints), plus souvent avec TDAH, anxiété ou dépression. Sans retards de développement marqués.
Mixed ASD with Developmental Delay : tableau “mixte”, avec forte présence de retards (langage, motricité, cognition). Moins d’anxiété ou dépression.
Moderate challenges : difficultés modérées au regard des autres classes, mais toujours au-dessus des fratries non-autistes sur le SCQ.
Broadly affected : difficultés élevées dans presque toutes les dimensions et co-occurrences nombreuses, diagnostics plus précoces en moyenne.
Chaque classe présente des signatures génétiques différentes : combinaisons de variants communs et de variants rares impliquant des voies biologiques distinctes, avec des moments d’expression génique qui diffèrent au cours du développement, ce qui colle aux différences de trajectoires observées.
Point important : les auteurs retiennent 4 classes car c’est l’optimum statistique et interprétable dans ces données, mais ils précisent que d’autres classes peuvent émerger avec d’autres jeux de données ou d’autres âges. Autrement dit : ce n’est pas un plafond, c’est une carte provisoire utile.
Mise en perspective : deux stratégies complémentaires
Les deux convergent sur une idée simple : l’autisme n’est pas un bloc, c’est un spectre où plusieurs voies biologiques peuvent conduire à des présentations différentes, y compris avec des points communs importants.
Chose qu'on voit déjà tous.
Bien loin de hierarchiser, cliver, ou catégoriser l'autisme, le fond de ces études (selon leurs chercheurs eux-même), c'est avant tout la mise en lumière biologique de la réalité clinique : Oui l'autisme est un spectre aussi varié biologiquement qu'il l'est cliniquement.
Ce que ces études ne disent pas (et qu’il faut marteler)
Elles n’invalident pas les diagnostics à l’adolescence ou à l’âge adulte.
Elles ne séparent pas un “vrai autisme” rare et génétique d’un “faux autisme” sans gènes : les variants rares n’expliquent pas le timing du diagnostic, et le gros du signal est polygénique.
Elles ne nient pas l’épigénétique ni l’environnement : avec ≈ 11 % de variance génétique pour l’âge du diagnostic, il reste beaucoup d’espace pour le masquage, les contextes familiaux et scolaires, l’accès aux soins, les attentes sociales, etc.
Conclusion
Oui, la génétique est fascinante. Elle éclaire des voies biologiques diverses qui mènent à des profils autistiques différents mais partiellement communs.
Non, en l’état, la génétique ne suffit pas à “expliquer” l’autisme ni sa diversité. Elle l’illustre sur un plan biologique, autant qu’on l’observe sur un plan comportemental dans la vraie vie. Beaucoup reste à découvrir sur les causes du TSA, et ces études ne servent qu'à nommer génétiquement ce qui est déjà observé, et non clarifier des origines.
Le message des chercheurs à retenir : hétérogénéité sans hiérarchie, diversité sans essentialisation, et une large place pour l’épigénétique, les contextes, les trajectoires et les choix d’adaptation.
Et cette fois ci c'est bien ma lecture et mon opinion individuelle : pourquoi dans un contexte moral comme le nôtre, certains médias d'ordinaire fiables et scientifiques ont fait le choix d'extrapoler des conclusions que des chercheurs, eux-mêmes, ont pris le soin de réfuter dans leurs papiers ?




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