Autisme ou hypersensibilité ? Faire la différence
- Florence
- il y a 2 jours
- 4 min de lecture
Chez de nombreuses personnes, en particulier les femmes, les parcours de diagnostic sont souvent semés de doutes : suis-je "juste hypersensible"… ou autiste ? Ces deux vécus peuvent se ressembler : surcharge émotionnelle, fatigue sociale, sensations intenses… Pourtant, ils reposent sur des mécanismes neurologiques très différents.
Clarifier la distinction est essentiel, pour adapter l'accompagnement, éviter l’errance diagnostique, et mieux comprendre ce qui relève d’une variation sensorielle ou d’un neurotype à part entière.
L’hypersensibilité n’est pas un diagnostic formel
Il est essentiel de rappeler qu’aucun consensus international n’existe sur la définition clinique de l’hypersensibilité. Ce terme n’est pas reconnu par les classifications internationales comme le DSM-5 ou la CIM-11. Il s’agit souvent d’un cadre interprétatif personnel, utilisé par certains praticiens pour caractériser une sensibilité accrue, mais qui repose sur leurs propres filtres subjectifs.
Cela ne veut pas dire que les ressentis ne sont pas réels — au contraire. Mais il est important de manipuler avec prudence les étiquettes comme "hypersensible", "HPE" (haut potentiel émotionnel) ou "HPI" (haut potentiel intellectuel), surtout lorsqu'elles deviennent des explications uniques à des difficultés significatives dans la vie quotidienne.
➡️ Si votre hypersensibilité entraîne des impacts importants sur votre fonctionnement social, professionnel ou émotionnel, il est recommandé d’explorer plus en profondeur, notamment via des bilans sensoriels ou neurodéveloppementaux adaptés.
Des points communs... mais des causes différentes
Hypersensibilité et TSA (trouble du spectre de l'autisme) peuvent tous deux entraîner :
une réaction forte aux sons, lumières, textures, odeurs ;
une fatigue après les interactions sociales ;
une tendance à éviter certains lieux ou situations ;
une intensité émotionnelle importante.
Mais là où l’hypersensibilité est une variation sensorielle ou émotionnelle isolée (sans forcément impacter les autres fonctions cognitives), le TSA est un fonctionnement neurodéveloppemental global, qui structure l’ensemble de la perception, de la cognition et des interactions sociales.
Le TSA va bien au-delà de la sensibilité
Il est tout à fait possible d’être hypersensible sans être autiste. À l’inverse, presque tous les autistes sont hypersensibles — mais leur profil comprend aussi :
des difficultés d’inférence sociale (comprendre les intentions ou les attentes implicites) ;
un besoin de routines et une forte résistance aux imprévus (DSM-5, 2013) ;
une pensée en détail, avec un accès privilégié à l’information précise, parfois au détriment de la vision globale (Happé & Frith, 2006) ;
une régulation émotionnelle atypique : non pas une simple intensité, mais une difficulté à identifier, nommer, ou hiérarchiser les émotions (alexithymie fréquente, Bird & Cook, 2013).
Le rapport au monde n’est pas le même
Une personne hypersensible peut être débordée par certaines stimulations, mais comprend généralement les codes sociaux, même si elle ne les apprécie pas toujours. Elle peut ressentir beaucoup d’empathie, parfois trop, et a souvent une intuition sociale fine.
Une personne autiste, elle, peut ne pas détecter ces codes, ou devoir les apprendre de manière consciente. Elle peut aussi avoir une empathie forte, mais qui s’exprime différemment (empathie émotionnelle préservée, mais cognitive plus variable — Baron-Cohen, 2004).
Le camouflage peut brouiller les pistes
Certaines femmes autistes, en particulier, développent très tôt des stratégies de camouflage. Elles observent, imitent, compensent — parfois à tel point qu’elles semblent socialement fluides. On pense alors à une hypersensibilité émotionnelle… alors qu’il s’agit d’un effort massif d’adaptation, souvent épuisant (Lai et al., 2017 ; Hull et al., 2020).
Un test ne suffit pas
Les questionnaires d’hypersensibilité (comme celui d’Elaine Aron) peuvent être utiles, mais ils ne permettent pas un diagnostic différentiel clair. Un diagnostic de TSA repose sur une évaluation multidimensionnelle : développement, cognition sociale, cognition structurelle, histoire de vie, etc.
🧠 À noter : les autistes non diagnostiqués peuvent aussi passer pour hypersensibles… parce qu’on ne regarde pas les autres aspects de leur fonctionnement.
En bref
L’hypersensibilité n’est pas un trouble : c’est une variation dans la sensibilité sensorielle ou émotionnelle.
Elle ne repose sur aucune norme clinique universelle, et peut masquer un autre fonctionnement plus profond si elle est prise isolément.
Le TSA est un neurotype, qui implique une différence dans la cognition sociale, la perception, les routines, et la régulation émotionnelle.
Vous pouvez être hypersensible sans être autiste, mais si vous vous reconnaissez aussi dans :
les routines rigides sécurisantes,
les difficultés à décoder les non-dits,
les passions intenses,
les effondrements post-sociaux ou post surcharge sensorielle,
… il est peut-être utile d’explorer la piste autistique.
📚 Pour aller plus loin
Bird, G., & Cook, R. (2013). Mixed emotions: the contribution of alexithymia to the emotional symptoms of autism. Translational Psychiatry.
Happé, F., & Frith, U. (2006). The weak coherence account: Detail-focused cognitive style in autism spectrum disorders. Journal of Autism and Developmental Disorders.
Lai, M.-C., Lombardo, M. V., Ruigrok, A. N. V., et al. (2017). Quantifying and exploring camouflaging in men and women with autism. Nature Communications.
Hull, L. et al. (2020). Development and validation of the Camouflaging Autistic Traits Questionnaire (CAT-Q). Journal of Autism and Developmental Disorders.
Baron-Cohen, S. (2004). The empathizing–systemizing theory of sex differences and the extreme male brain theory of autism. Trends in Cognitive Sciences.
American Psychiatric Association. (2013). DSM-5 Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders.
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