Régulation émotionnelle chez les personnes autistes : une idée reçue à déconstruire
- Florence
- 28 juin
- 3 min de lecture
L’idée que les personnes autistes présentent un déficit de régulation émotionnelle est largement répandue. Elle est mentionnée dans les manuels, les rapports d’évaluation, les formations professionnelles. Pourtant, elle repose sur une lecture biaisée des comportements, souvent décorrélée de ce que vivent réellement les personnes concernées.
Il est temps de questionner cette idée. Non seulement parce qu’elle est scientifiquement contestable, mais surtout parce qu’elle invisibilise une capacité d’endurance et d’adaptation absolument remarquable.
Définir la régulation émotionnelle autrement
La régulation émotionnelle est généralement définie comme la capacité à moduler ses émotions selon le contexte : ne pas s'effondrer en public, relativiser un stress, adapter son expression émotionnelle à ce que la situation sociale attend.
Mais cette définition est normée. Elle suppose que l’émotion est “trop” si elle gêne l’autre. Elle valorise la retenue visible, la conformité, la fluidité relationnelle. Elle ne prend pas en compte la quantité réelle de stress, de surcharge, ou de détresse à laquelle une personne est confrontée. Or, sans cette donnée, toute évaluation de la régulation émotionnelle est biaisée.
Encaisser sans exploser : une compétence invisible
Les personnes autistes , et en particulier les adultes sans déficience intellectuelle , vivent souvent dans un environnement non adapté à leur fonctionnement neurologique. Cela implique une exposition quasi permanente à des situations anxiogènes : surcharge sensorielle, imprévisibilité sociale, efforts de masquage, normes floues, bruit de fond, demandes multiples.
Et pourtant, beaucoup d’entre eux continuent à fonctionner. À travailler. À répondre poliment. À sourire dans des réunions. À écouter sans interrompre, à analyser les codes, à s'adapter. Ils le font en silence, souvent sans aide visible, avec un coût interne immense. Ce que les cliniciens appellent parfois un “effondrement” est en réalité l’ultime étape d’un système de régulation qui a tenu bien au-delà de ce qui est humainement supportable.
Comme l’a montré l’étude de Raymaker et al. (2020), le burn-out autistique résulte non pas d’un manque de gestion émotionnelle, mais d’une exposition chronique à des environnements hostiles à leur fonctionnement neurologique, combinée à des stratégies de camouflage permanentes.
Crises, shutdowns : régulation ou dérégulation ?

Dans les grilles comportementales classiques, un “shutdown” (fermeture soudaine) ou un “meltdown” (débordement visible) sont interprétés comme des signes de dérégulation. Mais si l’on change de focale, ces phénomènes apparaissent pour ce qu’ils sont : des mécanismes d’autorégulation extrême, dont le but est d’éviter la désintégration totale du système nerveux.
Un shutdown est une coupure protectrice. Un meltdown est une soupape de sécurité. Ils arrivent tard, pas tôt. Ils marquent l’excès de compensation, pas son absence. Dire qu’ils sont le signe d’une mauvaise régulation revient à dire qu’un système de freinage est défaillant… parce qu’il s’est usé en freinant sans relâche pendant des kilomètres.
Une hypothèse inverse : sur‑régulation émotionnelle
Et si, au lieu d’un déficit de régulation émotionnelle, les personnes autistes présentaient plutôt une sur‑régulation chronique ? Un contrôle émotionnel si fort, si constant, qu’il finit par les épuiser. Cette hypothèse n’est pas théorique : elle est confirmée par plusieurs travaux sur le masquage autistique (Hull et al., 2017 ; Cage & Troxell-Whitman, 2019) et par les scores élevés de rétention émotionnelle observés dans des études cliniques.
De nombreuses personnes autistes témoignent de leur incapacité à pleurer, à exprimer leur tristesse, à demander de l’aide. Ce n’est pas de l’impulsivité émotionnelle. C’est l’inverse. C’est un verrouillage systémique qui empêche toute libération visible de l’émotion tant qu’un contexte sécurisé n’est pas présent.
Ce qu’il faut vraiment apprendre à réguler : le contexte
L’enjeu n’est pas d’apprendre aux personnes autistes à mieux “gérer leurs émotions”. C’est de comprendre pourquoi leur environnement les expose à des niveaux de stress et de dissonance que personne ne pourrait supporter sans compensation active. C’est de construire des cadres compatibles avec leur système nerveux. De reconnaître leur endurance. De ne pas pathologiser leur humanité.
Ce que les approches comme la Thérapie Intégrative Adaptative (TIA) ou les cartographies des déclencheurs (CDNAA‑R) proposent, ce n’est pas de “corriger” les réactions émotionnelles, mais de travailler sur les sources de surcharge. Adapter l’espace. Anticiper les imprévus. Accepter les stratégies de retrait comme des signes d’intelligence adaptative.
Repenser le cadre plutôt que la personne.
Une reconnaissance attendue
Ce que méritent les personnes autistes, ce n’est pas un énième coaching pour apprendre à se contenir. C’est une reconnaissance du fait qu’elles se contiennent déjà au delà même de leurs capacités neurologiques. Qu’elles s’auto‑régulent depuis l’enfance, souvent à leurs dépens. Qu’elles n’ont pas besoin d’être entraînées à rester calmes. Elles ont besoin qu’on arrête de les mettre dans des contextes qui les agressent.
👉 Et surtout, elles ont besoin qu’on arrête de nommer dérégulation ce qui est, en réalité, une capacité émotionnelle exceptionnelle à survivre dans un monde non conçu pour elles.
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